Sa Genèse
Claude Allègre parle de Lionel Jospin en ces termes : « l’influence de ce passage dans l’organisation d’extrême gauche [ndlr. trotskiste] sur sa pensée politique est faible. En revanche, son éducation protestante est plus déterminante – si on veut le comprendre. Comme Pierre Joxe, il est pétri de cette éducation-là, avec tout ce que cela signifie de raideur, de pudeur, d’autonomie, de libre arbitre – voire d’esprit rebelle – de rigueur et de droiture. Je ne chercherai pas à démontrer que Lionel Jospin est un personnage drôle, enjoué, farceur, léger et virevoltant. Ce n’est pas vrai. Il est sérieux, travailleur, digne, souvent raide et emprunté devant une assistance. Le Jospin public n’est pas le Lionel privé. Car il y a aussi un Lionel chaleureux, aimant franchement rire à l’occasion, ne dédaignant pas l’humour. Ce Lionel-ci est réservé aux proches. Et, de temps à autre, aux militants du Parti socialiste, lors d’un repas ou d’une fête de la Rose. » 1 Ce descriptif est assez typique de ce que l’on peut constater chez nombre de profils UN. Sérieux en public, au travail, sur des sujets de fond et plus chaleureux lorsqu’ils se détendent et qu’il n’est plus nécessaire de bien se tenir à table.
Devise (Je suis parfait donc je suis)
A Matignon, le Premier ministre (1937-….) est un homme de fonction : il ne questionne pas un conseiller sur un sujet qui en concerne un autre. L’organisation de son cabinet s’appuie d’ailleurs sur ce système de « cases » où chacun sait précisément quel est son champ d’action. Organisé ! Comme le monde des fourmis ou des abeilles. Si Jospin juge les hommes, c’est à cette aune : accomplir correctement les charges qui incombent au poste occupé. Jospin apparaît très idéaliste. Son exigence est forte car il vit sous la pression intérieure d’un impératif catégorique – comme aurait Kant un autre UN – de bien faire, de recherche constante de la perfection. Une de ses célèbres citations est : « Avoir des convictions ne garantit pas contre l’erreur. »
Orientation (idéaux élevés, rigueur personnelle)
Dans Le monde comme je le vois 2 il définit son projet : « A partir d’un choix des thèmes qui m’ont paru importants, j’ai voulu dans cet essai éclairer la réalité actuelle, fixer des repères et indiquer des solutions. (…) Des principes éthiques, des législations protectrices et des services publics sont indispensables pour réfréner, voire empêcher, la puissante tendance actuelle à la marchandisation généralisée. (…) Plus qu’une doctrine, le socialisme est pour moi une vision éthique et une méthode politique. » Le Magazine Le Point écrivait à propos de son livre : « Lionel Jospin n’a pas le talent littéraire, la séduction savante et la désinvolture idéologique d’un François Mitterrand. Il se situe ici, plus que jamais, dans le sillage du sérieux, du consistant, du cohérent et du probe qui ont fait la réputation d’un Pierre Mendès France. » Le profil UN de Jospin apparaît ici nettement.
Plus tard sur la couverture de son livre paru en 2010 Lionel raconte Jospin aux éditions du Seuil, une photo austère, sérieuse apparaît, ainsi que quatre autres photos au dos de couverture du même acabit. Dans ce livre, il évoque le fait qu’il trouve indécent le fait qu’on lui reproche de ne pas rire et que ce soit un critère pour être un bon gouvernant. On loue sa rigueur intellectuelle et sa probité et cela ne suffit pas ! Il rapporte aussi que beaucoup lui ont reproché son caractère rigide. Lionel Jospin recherche l’ordre, la clarté, l’impeccabilité, une forme de perfectionnisme.
Compulsion (imperfection, colère)
Lionel Jospin fuit la colère et l’imperfection morale. En voici quatre exemples marquants :
1 – A l’encontre d’Yves Bertrand, Lionel Jospin s’était mis dans une colère noire. Après avoir publié dans le Point une tribune pour dénoncer le scandale d’Etat que constitue à ses yeux les agissements d’Yves Bertrand, directeur des Renseignements généraux de 1995 à 2007, il est revenu à la charge sur LCI, quelque temps après, contre « ce haut fonctionnaire nuisible protégé pendant douze ans par Jacques Chirac ». 3
2 – Alors Premier Ministre de Chirac, en 1998, il s’emporte vivement contre Christine Boutin. Lors du débat sur le PACS, Jospin a dénoncé « l’obstination dans l’obstruction » de l’opposition. Il s’en est pris sans la nommer à Mme BOUTIN, la qualifiant de « marginale » et « outrancière dans ses propos » sur le PACS, cette dernière a fondu en larmes.
3- La colère algérienne de Jospin qui a « enguirlandé » Hubert Védrine. « Au Quai d’Orsay, les collaborateurs d’Hubert Védrine n’ont guère envie d’expliquer le rapide changement de ton de leur ministre à l’égard du gouvernement algérien. Le 30 avril dernier, en effet, à en croire la déclaration de Védrine reprise par la presse, la France ne pouvait » donner des leçons de loin et de condamner » la répression menée en Kabylie. Des propos « des plus sirupeux » selon la formule ironique d’un diplomate, ont mis Jospin dans une fureur noire. La direction du PS été aussitôt invitée à durcir un communiqué en préparation et à réclamer la constitution d’une commission d’enquête internationale. De même, Jospin faisait savoir à Védrine qu’il avait intérêt à revoir sa copie, et vite. » 4
4- Le Parisien (21/11/2000) titrait au sujet de l’affaire de la vache folle : « Jospin contient sa colère ». Tout est dit sur le mécanisme de compulsion du profil UN : il fuit la colère comme la peste.
Mécanisme de défense (formation réactionnelle)
« A l’extrême opposé de Jacques Chirac, Lionel Jospin se montre froid, réservé, lisse, d’un contact peu facile, retranché derrière une cuirasse défensive, ce que ne manquent pas de remarquer ses adversaires. Rigoureux et méthodique, peu apte à la relation proche : ces traits sont à situer du côté de la névrose obsessionnelle, cette organisation défensive de la personnalité qui produit des individus réputés distants, méthodiques jusqu’à l’extrême, ritualisés jusqu’à l’empêchement. » 5
Il est difficile pour Jospin de se montrer en colère en public. Cela n’est pas convenable et ne se fait pas. Il remplace (formation réactionnelle) donc la colère intérieure, qu’il contient, par une autre émotion qui peut passer pour de la maîtrise soi. Parfois la tension interne est trop forte et la colère prend le dessus. Si cela lui arrive il le regrette. Il peut trouver des explications diverses mais au fond de lui il s’en veut. Il rentre donc dans une colère contre lui-même.
Triade infernale (colère, perfectionnisme, orgueil-avoir raison-rigidité)
Adepte de la joute verbale, l’homme déteste avoir tort : depuis juin 1997, il n’admet qu’une seule erreur, sa tirade à l’Assemblée nationale sur les « esclavagistes » de droite. Et encore – « Sur le fond, j’avais raison » s’entête-t-il à dire. Parfois, lorsque des proches incitent à la retenue un chef de gouvernement qu’ils jugent dans certaines situations encore trop réactif, Jospin laisse tomber un « Mais non, je ne vais pas reparler des esclavagistes! » faussement excédé. Depuis cette tirade, ses interventions dans l’hémicycle du Palais-Bourbon ont d’ailleurs été limitées au strict nécessaire. Ses conseillers démentent s’inquiéter lorsque le Premier ministre se lance dans une improvisation, mais ils gardent un fort mauvais souvenir de cette envolée : « Quand il est sorti, on lui a dit : ? « Lionel, tu y as peut-être été un peu fort… » C’étaient les mots les plus durs qu’on pouvait prononcer en matière de reproche !» se souvient un collaborateur. » 6
« La façon dont il encaisse les défaites est à cet égard tout à fait significative. Les autres, les grands fauves, se renforcent des déconvenues et même des désastres, et bientôt rebondissent. Lui s’effondre, et afflige ses plus chauds partisans par son manque de combativité, paradoxal pour qui aspire aux plus hautes destinées, et se croit – car l’homme est un orgueilleux – capable mieux qu’un autre d’en assumer les responsabilités. Deux exemples pour illustrer ce propos. Quand Chirac le bat en 1995, il va demander à Alain Juppé, nouveau Premier ministre, de le nommer ambassadeur. Démarche impensable pour un Mitterrand, ou pour un Chirac, placés dans de pareilles circonstances. Démarche du bon fonctionnaire qu’il est, et qui sollicite une affectation auprès de son patron. Il se heurte au refus de Juppé, campé dans sa propre raideur. Imaginons un instant ce qui se serait passé si ce dernier lui avait donné satisfaction…« 7
Non-verbal (sérieux)
Au grand désespoir de ses conseillers, Jospin se soucie fort peu de ses vêtements. Son seul principe, c’est le naturel, au point de refuser de se déguiser et d’enfiler des bottes pour arpenter une plage mazoutée, ce qui lui vaut une photo sur laquelle on le voit porté par deux élus afin d’éviter qu’il ne se salisse. « Aux Etats-Unis, ça t’aurait coûté 15 points », lui lance un proche, tandis qu’un autre hausse les épaules : « Est-ce que vous connaissez un homme politique qui irait à un débat télévisé avec un costume aussi peu seyant que celui que portait Jospin le jour où il a affronté Chirac, entre les deux tours de la présidentielle ? »
On discerne sur son visage de fréquentes mimiques de sérieux, d’anxiété, de contrariété et de colère rentrée. Il est aisé de trouver des photos sur le net illustrant Lionel Jospin doigts ou mains levés, dans une attitude assez professorale, qui semble indiquer que l’idéal se trouve ailleurs.
Hiérarchie des centres IME
Lionel Jospin est un instinctif, qui met beaucoup de son énergie à contenir sa colère. Le centre qu’il réprime est l’émotionnel, il ne laisse transparaître que très peu ses ressentis. Un article glâné dans l’Express rapporte que Jospin a fait des efforts pour être plus relationnel notamment quand il cohabitait avec Chirac : « Il faut dire qu’il revient de loin, s’amuse un socialiste. Quand il s’opposait à Juppé dans le XVIIIe arrondissement de Paris, il y avait photo pour distinguer le moins raide des deux! » Le journaliste de poursuivre « S’il a compris l’importance de la souplesse relationnelle, Lionel Jospin n’est pas devenu un affectif : à la fidélité d’un très proche il privilégiera toujours la compétence d’un moins proche. (…) La séduction, ce n’est pas le “truc”de Jospin. » 6
Une autre anecdote rapporte qu’en 1995, lors d’une réunion avec l’équipe de campagne, Yvette Roudy l’interpelle : « Lionel, t’es plutôt un beau gars, t’as une belle carrure, sers-t’en donc, lâche-toi! » « Oh! là, il va y avoir du boulot », constate sans ciller Henri Emmanuelli… Même quand il s’agit d’aller à la rencontre des Français, le Premier ministre a longtemps refusé de forcer sa nature : « Quand on lui parle communication, il précise souvent : pas de pathos ! », reconnaît l’un de ses conseillers. Pathos renvoie immédiatement à une dimension émotionnelle.
Dans même sens voici ce que dit Jean-Pierre Piotet : « On dit généralement que l’élection présidentielle est la rencontre entre un homme et le peuple. De ce point de vue, la campagne de Jospin en 2002 fut un complet fiasco. Les Français qui connaissaient le gestionnaire virent apparaître un homme de concepts, d’idées générales, quand ses adversaires avançaient sur le terrain des réalités, et d’abord sur le plus évident, celui de l’aspiration sécuritaire de l’opinion publique. » 7 Pour trouver sa variante, on voit bient dans les textes cités, que Jospin utilise peu son énergie affective et émotionnelle. Il la réserve par moments à ses proches. Il préfère largement se réfugier dans les concepts.
Il semble donc que sa hiérarchie des centres soit IME (Instinctif Mental Émotionnel), ce qui fait de lui un UN µ. Sous stress il se désintègre en SEPT (il papillonne et s’égare dans des futilités) et lorsqu’il va bien, il développe au contraire les qualités du QUATRE, c’est là que son centre émotionnel se déploie. Cela pourrait ainsi expliquer qu’avec ses amis proches, il soit sympa, original et créatif.
Notes
1. Claude Allègre parle sur son ami Jospin, interview du 07/03/2002.
2. Lionel Jospin, Le monde comme je le vois, Collection Le Débat, Gallimard, 2005 ; p. 311.
3. Article de Paul Quinio dans Libération du 18/10/2008
4. Article dans Le Canard enchaîné – mercredi 09 mai 2001 par Claude Angéli.
5. Philippe Grimbert, psychanalyste.
6. Dans l’Express par Karlin Elise et Mandonnet Eric, publié le 17/02/2000.
7. Extraits d’Histoires de réputation, réflexions sur le mensonge des hommes publics par Jean-Pierre Piotet, Ed Eska.
Claude Allègre parle de Lionel Jospin en ces termes : « l’influence de ce passage dans l’organisation d’extrême gauche [ndlr. trotskiste] sur sa pensée politique est faible. En revanche, son éducation protestante est plus déterminante – si on veut le comprendre. Comme Pierre Joxe, il est pétri de cette éducation-là, avec tout ce que cela signifie de raideur, de pudeur, d’autonomie, de libre arbitre – voire d’esprit rebelle – de rigueur et de droiture. Je ne chercherai pas à démontrer que Lionel Jospin est un personnage drôle, enjoué, farceur, léger et virevoltant. Ce n’est pas vrai. Il est sérieux, travailleur, digne, souvent raide et emprunté devant une assistance. Le Jospin public n’est pas le Lionel privé. Car il y a aussi un Lionel chaleureux, aimant franchement rire à l’occasion, ne dédaignant pas l’humour. Ce Lionel-ci est réservé aux proches. Et, de temps à autre, aux militants du Parti socialiste, lors d’un repas ou d’une fête de la Rose. » 1 Ce descriptif est assez typique de ce que l’on peut constater chez nombre de profils UN. Sérieux en public, au travail, sur des sujets de fond et plus chaleureux lorsqu’ils se détendent et qu’il n’est plus nécessaire de bien se tenir à table.
Devise (Je suis parfait donc je suis)
A Matignon, le Premier ministre (1937-….) est un homme de fonction : il ne questionne pas un conseiller sur un sujet qui en concerne un autre. L’organisation de son cabinet s’appuie d’ailleurs sur ce système de « cases » où chacun sait précisément quel est son champ d’action. Organisé ! Comme le monde des fourmis ou des abeilles. Si Jospin juge les hommes, c’est à cette aune : accomplir correctement les charges qui incombent au poste occupé. Jospin apparaît très idéaliste. Son exigence est forte car il vit sous la pression intérieure d’un impératif catégorique – comme aurait Kant un autre UN – de bien faire, de recherche constante de la perfection. Une de ses célèbres citations est : « Avoir des convictions ne garantit pas contre l’erreur. »
Orientation (idéaux élevés, rigueur personnelle)
Dans Le monde comme je le vois 2 il définit son projet : « A partir d’un choix des thèmes qui m’ont paru importants, j’ai voulu dans cet essai éclairer la réalité actuelle, fixer des repères et indiquer des solutions. (…) Des principes éthiques, des législations protectrices et des services publics sont indispensables pour réfréner, voire empêcher, la puissante tendance actuelle à la marchandisation généralisée. (…) Plus qu’une doctrine, le socialisme est pour moi une vision éthique et une méthode politique. » Le Magazine Le Point écrivait à propos de son livre : « Lionel Jospin n’a pas le talent littéraire, la séduction savante et la désinvolture idéologique d’un François Mitterrand. Il se situe ici, plus que jamais, dans le sillage du sérieux, du consistant, du cohérent et du probe qui ont fait la réputation d’un Pierre Mendès France. » Le profil UN de Jospin apparaît ici nettement.
Plus tard sur la couverture de son livre paru en 2010 Lionel raconte Jospin aux éditions du Seuil, une photo austère, sérieuse apparaît, ainsi que quatre autres photos au dos de couverture du même acabit. Dans ce livre, il évoque le fait qu’il trouve indécent le fait qu’on lui reproche de ne pas rire et que ce soit un critère pour être un bon gouvernant. On loue sa rigueur intellectuelle et sa probité et cela ne suffit pas ! Il rapporte aussi que beaucoup lui ont reproché son caractère rigide. Lionel Jospin recherche l’ordre, la clarté, l’impeccabilité, une forme de perfectionnisme.
Compulsion (imperfection, colère)
Lionel Jospin fuit la colère et l’imperfection morale. En voici quatre exemples marquants :
1 – A l’encontre d’Yves Bertrand, Lionel Jospin s’était mis dans une colère noire. Après avoir publié dans le Point une tribune pour dénoncer le scandale d’Etat que constitue à ses yeux les agissements d’Yves Bertrand, directeur des Renseignements généraux de 1995 à 2007, il est revenu à la charge sur LCI, quelque temps après, contre « ce haut fonctionnaire nuisible protégé pendant douze ans par Jacques Chirac ». 3
2 – Alors Premier Ministre de Chirac, en 1998, il s’emporte vivement contre Christine Boutin. Lors du débat sur le PACS, Jospin a dénoncé « l’obstination dans l’obstruction » de l’opposition. Il s’en est pris sans la nommer à Mme BOUTIN, la qualifiant de « marginale » et « outrancière dans ses propos » sur le PACS, cette dernière a fondu en larmes.
3- La colère algérienne de Jospin qui a « enguirlandé » Hubert Védrine. « Au Quai d’Orsay, les collaborateurs d’Hubert Védrine n’ont guère envie d’expliquer le rapide changement de ton de leur ministre à l’égard du gouvernement algérien. Le 30 avril dernier, en effet, à en croire la déclaration de Védrine reprise par la presse, la France ne pouvait » donner des leçons de loin et de condamner » la répression menée en Kabylie. Des propos « des plus sirupeux » selon la formule ironique d’un diplomate, ont mis Jospin dans une fureur noire. La direction du PS été aussitôt invitée à durcir un communiqué en préparation et à réclamer la constitution d’une commission d’enquête internationale. De même, Jospin faisait savoir à Védrine qu’il avait intérêt à revoir sa copie, et vite. » 4
4- Le Parisien (21/11/2000) titrait au sujet de l’affaire de la vache folle : « Jospin contient sa colère ». Tout est dit sur le mécanisme de compulsion du profil UN : il fuit la colère comme la peste.
Mécanisme de défense (formation réactionnelle)
« A l’extrême opposé de Jacques Chirac, Lionel Jospin se montre froid, réservé, lisse, d’un contact peu facile, retranché derrière une cuirasse défensive, ce que ne manquent pas de remarquer ses adversaires. Rigoureux et méthodique, peu apte à la relation proche : ces traits sont à situer du côté de la névrose obsessionnelle, cette organisation défensive de la personnalité qui produit des individus réputés distants, méthodiques jusqu’à l’extrême, ritualisés jusqu’à l’empêchement. » 5
Il est difficile pour Jospin de se montrer en colère en public. Cela n’est pas convenable et ne se fait pas. Il remplace (formation réactionnelle) donc la colère intérieure, qu’il contient, par une autre émotion qui peut passer pour de la maîtrise soi. Parfois la tension interne est trop forte et la colère prend le dessus. Si cela lui arrive il le regrette. Il peut trouver des explications diverses mais au fond de lui il s’en veut. Il rentre donc dans une colère contre lui-même.
Triade infernale (colère, perfectionnisme, orgueil-avoir raison-rigidité)
Adepte de la joute verbale, l’homme déteste avoir tort : depuis juin 1997, il n’admet qu’une seule erreur, sa tirade à l’Assemblée nationale sur les « esclavagistes » de droite. Et encore – « Sur le fond, j’avais raison » s’entête-t-il à dire. Parfois, lorsque des proches incitent à la retenue un chef de gouvernement qu’ils jugent dans certaines situations encore trop réactif, Jospin laisse tomber un « Mais non, je ne vais pas reparler des esclavagistes! » faussement excédé. Depuis cette tirade, ses interventions dans l’hémicycle du Palais-Bourbon ont d’ailleurs été limitées au strict nécessaire. Ses conseillers démentent s’inquiéter lorsque le Premier ministre se lance dans une improvisation, mais ils gardent un fort mauvais souvenir de cette envolée : « Quand il est sorti, on lui a dit : ? « Lionel, tu y as peut-être été un peu fort… » C’étaient les mots les plus durs qu’on pouvait prononcer en matière de reproche !» se souvient un collaborateur. » 6
« La façon dont il encaisse les défaites est à cet égard tout à fait significative. Les autres, les grands fauves, se renforcent des déconvenues et même des désastres, et bientôt rebondissent. Lui s’effondre, et afflige ses plus chauds partisans par son manque de combativité, paradoxal pour qui aspire aux plus hautes destinées, et se croit – car l’homme est un orgueilleux – capable mieux qu’un autre d’en assumer les responsabilités. Deux exemples pour illustrer ce propos. Quand Chirac le bat en 1995, il va demander à Alain Juppé, nouveau Premier ministre, de le nommer ambassadeur. Démarche impensable pour un Mitterrand, ou pour un Chirac, placés dans de pareilles circonstances. Démarche du bon fonctionnaire qu’il est, et qui sollicite une affectation auprès de son patron. Il se heurte au refus de Juppé, campé dans sa propre raideur. Imaginons un instant ce qui se serait passé si ce dernier lui avait donné satisfaction…« 7
Non-verbal (sérieux)
Au grand désespoir de ses conseillers, Jospin se soucie fort peu de ses vêtements. Son seul principe, c’est le naturel, au point de refuser de se déguiser et d’enfiler des bottes pour arpenter une plage mazoutée, ce qui lui vaut une photo sur laquelle on le voit porté par deux élus afin d’éviter qu’il ne se salisse. « Aux Etats-Unis, ça t’aurait coûté 15 points », lui lance un proche, tandis qu’un autre hausse les épaules : « Est-ce que vous connaissez un homme politique qui irait à un débat télévisé avec un costume aussi peu seyant que celui que portait Jospin le jour où il a affronté Chirac, entre les deux tours de la présidentielle ? »
On discerne sur son visage de fréquentes mimiques de sérieux, d’anxiété, de contrariété et de colère rentrée. Il est aisé de trouver des photos sur le net illustrant Lionel Jospin doigts ou mains levés, dans une attitude assez professorale, qui semble indiquer que l’idéal se trouve ailleurs.
Hiérarchie des centres IME
Lionel Jospin est un instinctif, qui met beaucoup de son énergie à contenir sa colère. Le centre qu’il réprime est l’émotionnel, il ne laisse transparaître que très peu ses ressentis. Un article glâné dans l’Express rapporte que Jospin a fait des efforts pour être plus relationnel notamment quand il cohabitait avec Chirac : « Il faut dire qu’il revient de loin, s’amuse un socialiste. Quand il s’opposait à Juppé dans le XVIIIe arrondissement de Paris, il y avait photo pour distinguer le moins raide des deux! » Le journaliste de poursuivre « S’il a compris l’importance de la souplesse relationnelle, Lionel Jospin n’est pas devenu un affectif : à la fidélité d’un très proche il privilégiera toujours la compétence d’un moins proche. (…) La séduction, ce n’est pas le “truc”de Jospin. » 6
Une autre anecdote rapporte qu’en 1995, lors d’une réunion avec l’équipe de campagne, Yvette Roudy l’interpelle : « Lionel, t’es plutôt un beau gars, t’as une belle carrure, sers-t’en donc, lâche-toi! » « Oh! là, il va y avoir du boulot », constate sans ciller Henri Emmanuelli… Même quand il s’agit d’aller à la rencontre des Français, le Premier ministre a longtemps refusé de forcer sa nature : « Quand on lui parle communication, il précise souvent : pas de pathos ! », reconnaît l’un de ses conseillers. Pathos renvoie immédiatement à une dimension émotionnelle.
Dans même sens voici ce que dit Jean-Pierre Piotet : « On dit généralement que l’élection présidentielle est la rencontre entre un homme et le peuple. De ce point de vue, la campagne de Jospin en 2002 fut un complet fiasco. Les Français qui connaissaient le gestionnaire virent apparaître un homme de concepts, d’idées générales, quand ses adversaires avançaient sur le terrain des réalités, et d’abord sur le plus évident, celui de l’aspiration sécuritaire de l’opinion publique. » 7 Pour trouver sa variante, on voit bient dans les textes cités, que Jospin utilise peu son énergie affective et émotionnelle. Il la réserve par moments à ses proches. Il préfère largement se réfugier dans les concepts.
Il semble donc que sa hiérarchie des centres soit IME (Instinctif Mental Émotionnel), ce qui fait de lui un UN µ. Sous stress il se désintègre en SEPT (il papillonne et s’égare dans des futilités) et lorsqu’il va bien, il développe au contraire les qualités du QUATRE, c’est là que son centre émotionnel se déploie. Cela pourrait ainsi expliquer qu’avec ses amis proches, il soit sympa, original et créatif.
Notes
1. Claude Allègre parle sur son ami Jospin, interview du 07/03/2002.
2. Lionel Jospin, Le monde comme je le vois, Collection Le Débat, Gallimard, 2005 ; p. 311.
3. Article de Paul Quinio dans Libération du 18/10/2008
4. Article dans Le Canard enchaîné – mercredi 09 mai 2001 par Claude Angéli.
5. Philippe Grimbert, psychanalyste.
6. Dans l’Express par Karlin Elise et Mandonnet Eric, publié le 17/02/2000.
7. Extraits d’Histoires de réputation, réflexions sur le mensonge des hommes publics par Jean-Pierre Piotet, Ed Eska.