Peut-on être Président de la République et de profil CINQ ? Bonne question… En effet, l’on peut penser que rien ne prédispose un profil 5 à exercer le pouvoir, qu’il n’a pas de propension naturelle à gouverner, ni d’aptitudes profondes. Si ce n’est peut-être une grande idée ou une vision de société à faire passer, car il serait convaincu de sa rationalité, de son caractère novateur, de son génie situationnel. C’est ce que VGE a voulu faire lors de son septennat… Examinons le profil de cette figure marquante de l’histoire de notre V° République.

 Valéry en bref 
Valéry René Marie Georges Giscard d’Estaing né le 2 février 1926 à Koblenz (Allemagne) Il est décédé à l’âge de 94 ans, le 2 décembre 2020 des suites d’une santé chahutée et de la Covid 19. Valéry Giscard d’Estaing, dit « VGE » ou « Giscard », polytechnicien et énarque, avait décroché un double bac philosophie et mathématiques à 15 ans.Ministre du général de Gaulle, puis de Georges Pompidou, il a connu une carrière politique brillante et rapide. Ainsi, il restera dans les mémoires comme le plus jeune président de la République (jusqu’à Emmanuel Macron), élu suite à la disparition de Georges Pompidou en 1974, face à François Mitterrand. Ce dernier le battra 7 ans plus tard pour accéder à son tour au pouvoir en 1981.De son septennat, l’on retiendra bien sûr l’abaissement de la majorité à 18 ans, le renforcement des contrôles migratoires, la dépénalisation de l’avortement (portée par Simone Veil) ou encore le renforcement de la construction européenne aux côtés, notamment, du chancelier fédéral allemand Helmut Schmidt. 

Sur le plan économique, les années Giscard sont marquées par deux chocs pétroliers (1973 et 1979) et la fin de la dynamique des Trente Glorieuses. La fin de sa présidence fut assez tourmentée. Il y a d’abord eu l’affaire des diamants, prétendant que Giscard aurait accepté des cadeaux en nature de la part de Jean-Bedel Bokassa. La presse internationale parle alors de « Watergate parisien ». Et l’attitude du président français passera aux yeux de beaucoup pour du mépris et un aveu de culpabilité. Cette affaire le poursuivra dans l’opinion publique pendant des années.Après sa défaite en 1981, il y a eu son mémorable discours d’adieux télévisé avec le fameux « Au revoir », précédé et suivi d’un long silence, laissant longuement à l’écran une chaise vide, puis son départ de l’Élysée à pied, sous les sifflets, le 21 mai 1981.

§1 – Giscard privilégiait le « mental »

Giscard privilégiait dans sa vie de tous les jours l’intelligence mentale. Notamment pour appréhender sa réalité d’homme politique, c’est-à-dire les Français, les électeurs, ses collaborateurs, ses ministres… Arthur Conte a ce descriptif absolument parlant : « Il ne peut pas connaître son propre peuple de l’intérieur, de la manière la plus populaire, c’est-à-dire la plus instinctive, et si toute sa formation familiale le porte plutôt à des jugements ou à des regards aristocratiques, il sait cependant ne pas se tromper sur ses angoisses les plus profondes et ses courages par ailleurs les plus discutés : disons qu’il a plus de ‘psychologie’ des masses que des individus. (…) En ce sens, Giscard ressemblait à Léon Blum dont on disait qu’il avait le plus pénétrant regard pour contempler son univers, et que c’était à force d’intelligence qu’il pouvait percevoir son peuple dans ses plus réelles profondeurs. » Giscard avait un rapport au monde qui passait principalement par la tête.

Il pigeait les grands horizons

Son vocabulaire préférentiel consistait beaucoup en termes d’idées : idées d’innovation, idées dominantes, idées de départ, idées nouvelles…. et « grande idée ». Cela faisait partie de son répertoire habituel. Ainsi dès la fin des années 60, Valéry Giscard d’Estaing a une vision très précise de la façon de se présenter à l’opinion. Il considère que le pouvoir ne peut plus s’exercer dans sa représentation comme il s’exerçait avec le général de Gaulle et même avec Georges Pompidou. C’est en ce sens qu’il fera venir en France pendant quelques mois, durant son septennat, Joseph Neapolitan, celui qui a été l’un des plus proches conseillers de Kennedy en matière d’image, qui lui a inspiré de mettre en scène sa vie privée. « Giscard s’inscrit véritablement dans cette filiation, dans cette volonté d’utiliser une communication politique qui banalise le rôle du président de la République. Ce qui caractérise Valéry Giscard d’Estaing dans sa relation à la France, contrairement au Général De Gaulle, c’est de considérer que la France est devenue une puissance moyenne. (Arnaud Benedetti) »

En positif, dans le côté mental, nous relevons que Giscard a été perçu comme quelqu’un de moderne et de profondément visionnaire aux yeux d’une majorité de Français qui l’ont élu Président en 1974. Il s’était déclaré candidat depuis sa mairie de Chamalières, dans le Puy-de-Dôme, en assurant vouloir « regarder la France au fond des yeux » et « conduire une politique nouvelle », proposant un projet de modernisation à un rythme soutenu et s’engageant résolument pour faire avancer l’Europe. Comme le précise Arthur Conte, Giscard « est manifestement doué pour analyser les forces, les stratégies et les peuples qui constituent la substance et animent la trame, pourtant variables à l’infini, de notre vie mondiale actuelle : il pige les grands horizons. »

Un homme avisé et prudent

Dans le côté mental, nous trouvons une certaine prudence et une aversion au risque. En effet, une fois élu Président, l’ancien ministre et inspecteur des finances parle de « changement sans le risque », cherchant à concilier rupture et continuité. Bien sûr, conjoncturellement, ce discours venait après les évènements de mai 1968 et un climat de contestation fort dans le pays. Pour Giscard, le changement sans risque signifiait : « on continue », mais « on continue sans prendre le risque d’une explosion sociale ou politique intérieure ».

Rappelons que les émotions dominantes chez une personne qui préfère le mental sont : la peur, la crainte, le doute qui entraînent une certaine forme d’aversion au risque et de prudence naturelle. Le contraste avec le côté instinctif de De Gaulle ou de Mitterrand plus tard est saisissant.

« A so british composure »

Une autre caractéristique des mentaux est leur attitude physique plutôt à distance, dans leur tête, le corps étant souvent relâché. Loin des coups de panache, Giscard aimait la paix, la tranquillité, le calme ; optimiste de nature, il était pareil quel que soit l’interlocuteur. Ainsi Giscard dégageait un flegme tout britannique. Dans le ton, la gestuelle, Giscard restait impassible, parfois malhabile, parlant d’un ton égal, monotone, ronronnant… comme quelqu’un qui mise tout sur le fond et pas grand-chose sur la forme.

Lorsque Pompidou lui propose en 1965 de collaborer avec lui au cas où le Général De Gaulle ne se représente pas. La réponse de Giscard est : « Je tiens à réfléchir quelques jours. » Finalement De Gaulle se représentera. De même, au moment de nommer ou pas Jacques Chirac comme premier ministre, un gaulliste, VGE qui voulait tourner la page du temps du Général, s’exclame : « C’est déraisonner. J’aime mieux pratiquer la méthode lente, ne pas trop heurter les habitudes. » Et il choisit donc celui qui causera sa perte par la suite. « Chirac ne me trahira jamais ! » dit-il avec une certaine naïveté qui traduisait son manque de finesse psychologique…

§2 – Plus orienté vers l’action que vers les émotions

« Lui qu’on présente volontiers tantôt comme un madré, tantôt comme un soupçonneux congénital, tantôt comme un dilettante incapable de lyrisme, a cette faiblesse romantique : mal se protéger du coup de foudre, ne pas savoir peser le vrai poids de certains hauts personnages, ou la vraie solidité de leurs sentiments à son égard. » (AC p.7)

Un animal au sang-froid, peu psychologue…

Ce manque de connaissance psychologique peut provenir d’un manque d’empathie, ou en tous cas d’une difficulté à être proche de ses émotions et par symétrie de celles des autres. Dans la nomination de JJSS comme ministre des réformes sous l’autorité de Chirac, Giscard a encore fait preuve de peu de discernement humain. Arthur Conte écrit en effet que « Jean-Jacques Servan-Schreiber a autant pour vocation pour être ministre qu’un protestant pour être pape. » Pourtant Giscard l’a nommé.

Ce retrait émotionnel a fait regarder Giscard comme quelqu’un de froid, hautain, distant… L’une de ses qualités majeures et que l’on attend chez un dirigeant de ce rang c’est le sang-froid. VGE savait prendre l’exacte mesure des événements sans jamais se départir de sa posture de président. Ce qui constituait pour lui un atout majeur en a fait pour les Français un « monstre de froideur », une « statue de l’indifférence », quelqu’un qui ne s’étonnait ni ne se troublait jamais. Giscard était pudique à l’excès, évitait tout lyrisme, mesuré, tranquille en toute chose. Cette image lui a collé à la peau. Il a toujours été partisan de la sobriété et de la discrétion, il fut comparé à des monarques comme Louis XI, Henri III pour leur froideur légendaire ou à Louis XV pour son caractère de « jouisseur racé », selon la belle expression de Conte. On connaît par ailleurs le côté fort porté de VGE sur la gent féminine.

« La pleine vérité est qu’il déteste courtisans et flatteurs. » (AC) Giscard se moquait des effets de cour. Il aimait au contraire les gens qui lui parlaient franchement, du moins dans son entourage proche, ses amis, les personnes de « son territoire ». « Précisément, jamais Valéry Giscard d’Estaing ne m’a tenu grief de la liberté ou du ‘contre’ de mes propos. Tout au contraire quand je le rencontre dans son bureau et que je lui parle avec le langage le plus direct, je sais aussitôt qu’il apprécie davantage une telle franchise, fût-elle parfois rude. Il l’estime autant qu’il méprise l’hypocrisie fielleuse des ramasse-miettes. »  (AC) Nous voyons là le côté instinctif davantage présent que l’aspect émotionnel.

…mais déterminé

Ainsi Giscard aimait la chasse. Il se campait comme un chasseur invétéré, tout terrain et tout gibier ! Il pratiquait le sport (tennis, foot, ski…), et bien sûr adorait le scrabble — sport cérébral s’il en est — en famille. C’était « un homme de caractère. » Il savait « durement vouloir et tenir (…) Loin d’être un désinvolte ou un “flou” et malgré quelques délices à se donner des airs de prince au jeu, il est bien fils de son Auvergne, capable de s’accrocher âprement comme avec des griffes à un roc, à une idée, à un plan, ou à un choix » souligne Arthur Conte.

Son côté instinctif était plus actif que son émotionnel relégué au troisième rang. Nous arrivons donc à la conclusion que VGE présentait une hiérarchie des centres selon cet ordre : Mental, Instinctif, Émotionnel. « On retient d’ordinaire de lui l’image d’un patricien hautain et narcissique, affecté et terriblement snob. On oublie son exceptionnelle intelligence, sa virtuosité unique à la télévision, ses grands talents de guerrier politique ou de gouvernant entreprenant » assène le journaliste politique Alain Duhamel.

Il ne faut pas se méprendre, Giscard était un coriace : « Il ne sera jamais un Tartarin ou un flambard. La manière lui en manquera toujours. Quoi qu’il en soit, telle est l’évidence : l’aberration sera totale si on veut le prendre pour un ‘trop tendre’.  Ne vous y trompez surtout pas, il pourra rester l’un des personnages les plus coriaces du 20e siècle. »(AC) Obstiné, persévérant, âpre au but, résistant… de son aveu même, il l’a été dans ses études, ses campagnes, ses convictions, ses combats, comme pour l’Europe alors qu’il n’était plus président. C’est pourquoi, certains le décrivaient comme un bon Auvergnat, lui reprochant même un côté « grippe-sou ». Avare, Giscard ?


§3 – Un fan de l’expertise

Dans ce dernier paragraphe, il nous reste à confirmer l’hypothèse la plus vraisemblable, Giscard avait un profil de CINQ. L’anecdote du 24 septembre1980 est à ce titre significative. Giscard fit une allocution d’intronisation pour remettre la légion d’honneur à son chauffeur Gabriel Lavaire : « J’ai fait quelques calculs ; il y a maintenant 21 ans que vous me conduisez ; depuis le début de l’année 1959, nous avons dû faire ensemble plus 1 750 000 km, ce qui représente plus de 44 fois le tour de la Terre. Nous les avons faits ensemble… » (rapporté par AC)

Du détail à la synthèse

Valery était un travailleur acharné, qui voulait connaître ses dossiers dans les moindres détails, il ne déléguait que peu, contrairement à ses prédécesseurs De Gaulle ou Pompidou. Il contrôlait tout par lui-même. Il souhaitait envisager toutes les hypothèses d’une situation pour mettre la raison aux commandes. Il avait cette aptitude à aller à la fois dans le détail et en même temps il était l’homme des synthèses lumineuses. « C’est là en effet l’une de ses plus sûres forces : sa capacité à la synthèse. Il ne travaille ni ne pense jamais au coup par coup… Sans doute parfois les circonstances peuvent-elles exiger d’improviser, comme à Kolwezi. Mais l’une de ses principales qualités aurait été de relier chaque analyse à une vaste analyse d’ensemble, chaque décision à une ample stratégie d’ensemble. Ainsi d’ailleurs, évite-t-il de s’exposer à trop de surprises ou à trop d’à-coups. Ceci est extrêmement important : il sait contempler son univers dans sa totalité et dans sa durée, malgré les brouillards de l’époque. » (AC)

Un pédagogue

« Sa première qualité à l’écran est de n’avoir jamais le trac, ou de ne paraître jamais l’avoir. Il va à cette image – qui en terrorisait et en paralysait tant et tant – comme s’il allait à une partie de plaisir, faire sa pétanque ou sa belote. (…) Sa seconde est d’être clair, volontiers explicatif, presque pédagogue. Il sait faire la leçon comme s’il rendait service.  “Vous ne comprenez pas ? Attendez voir…. Tenez…. Je prends un morceau de craie…. Je vais au tableau…” » Arthur Conte s’amuse à décrire son ami VGE comme aimant transmettre son savoir et se faire comprendre. Il recherchait avant tout une forme d’objectivité dans ses propos. « Il avait le chic de rendre intelligents ceux qui l’écoutaient » affirme-t-il.

« Sauvons la sagesse ! »

Cette phrase que Giscard aimait répéter lui faisait mettre la compétence au-dessus de tout : « Je pense que dans la conduite des affaires publiques, quelles qu’elles soient, il y a un critère fondamental : la compétence. Je ne m’intéresse qu’aux gens qui ont une compétence. Je mets de côté ceux qui parlent, qui commentent, qui comparent, etc. C’est pourquoi mes ministres des affaires étrangères ont été des diplomates, c’est pourquoi mon ministre de l’industrie était le major de l’école polytechnique, et ainsi de suite. »

Conclusion

Nous avançons donc l’hypothèse sérieuse que Giscard fut un président de profil CINQ variante µ, c’est-à-dire Mental Instinctif Émotionnel. A ce jour, il est le seul des présidents de la V° République à avoir ce profil, preuve que des styles de leadership fort différents peuvent prétendre aux plus hautes responsabilités. A bon entendeur, salut…

Encart 2 : Les Caractéristiques majeures du profil 5, variante µ

Sa Genèse (ses premières expériences d’être au monde) : « Le monde est inquiétant, je dois chercher à décrypter ce grand inconnu. Le monde des pensées est tellement plus rassurant et intéressant. »

Sa Devise (ce qui fait qu’il se sent vivant, son idéal du moi) : « Je sais, je connais, je pense donc j’existe. »

Son Orientation (ce qu’il recherche dans la vie) : le savoir et l’expertise

Sa Compulsion (ce qu’il évite de façon récurrente dans sa vie) : se sentir vide intérieurement, être envahi dans son espace.

Son Mécanisme de défense (qui lui permet de maintenir intacte sa devise) : l’isolation, le fait de se tenir loin de ses ressentis et de ses besoins.

Sa Triade infernale (qui se manifeste quand il ne va pas bien) :

– Passion : Vide « Je ressens du vide, je crains l’inconnu, du non-maîtrisable »

– Idée Fixe (fixation) : Retrait « Il faut se détacher, ne pas dépendre, garder ses distances, ne pas être impliqué »

– Défaut majeur : Avarice : la rétention de son temps et de ses émotions.

Son Trio vertueux (qui se laisse voir lorsqu’il va bien) :

– Vertu : Complétude « Je me sens comblé, sans risque de pénurie »

– Idée supérieure : Implication « Je peux m’impliquer sans être en danger »

– Sa qualité sublimée : Générosité « Je transmets mon savoir »

Son Intuition: « Je peux livrer facilement, assez spontanément, mes impressions sur une situation »

La Hiérarchie de l’utilisation des centres d’Intelligence du 5 variante µ : Mental comme tous les 5, puis Instinctif et l’Émotionnel en dernier.

Sources de l’article